A la unePolitiquepriorite

Eugène Diomi Ndongala craint que le basculement au fédéralisme viole l’article 220 de la Constitution

25Views

La question de savoir si la République démocratique du Congo peut envisager une modification constitutionnelle vers un système fédéral sans enfreindre les principes intangibles de sa Constitution actuelle, est un sujet à la croisée du droit, de la politique et de l’histoire.

Au cœur de ce débat se trouve l’article 220, un rempart constitutionnel censé protéger des éléments fondamentaux de l’État contre toute révision.

Dans un entretien ce mardi 15 avril 2025, Eugène Diomi Ndongala, président national de la Démocratie chrétienne (DC), note que ce texte, invoqué tantôt comme un bouclier, tantôt comme une arme dans les joutes politiques, est aujourd’hui scruté à travers le prisme d’une possible mutation de l’État unitaire vers un modèle fédéral. Entre impératifs d’unité nationale, controverses sur les mandats présidentiels et accusations d’hypocrisie politique, cette analyse propose un éclairage sur les enjeux et les tensions qui animent ce projet controversé.

Un héritage d’unité dans un pays fracturé

La RD Congo, telle que définie par sa Constitution de 2005 (amendée en 2011), se présente comme un État « un et indivisible », selon son article 1er.

« Cette formule n’est pas anodine : elle est le fruit d’une histoire tumultueuse marquée par des velléités sécessionnistes, comme celle du Katanga dans les années 1960, et par des conflits persistants dans l’Est du pays », explique Diomi. L’État unitaire, avec son pouvoir centralisé et ses provinces aux compétences limitées, « a été conçu comme une réponse à ces menaces de fragmentation ».

L’unité nationale est ainsi devenue un mantra, une boussole guidant les choix constitutionnels dans un pays aussi vaste que divers.

Mais cette centralisation a ses limites. Les provinces, souvent éloignées du pouvoir de Kinshasa, revendiquent davantage d’autonomie pour gérer leurs ressources et leurs défis spécifiques.

« C’est dans ce contexte que le fédéralisme refait surface, porté par des voix qui y voient une solution aux tensions régionales, mais redouté par ceux qui craignent un éclatement déguisé », poursuit-il.

Unitaires et fédéraux : une querelle de concepts

Pour saisir les enjeux, un détour par les définitions s’impose. Un État unitaire, comme celui de la RD Congo actuelle, concentre l’autorité au niveau central : les provinces, simples subdivisions administratives, n’ont pas de souveraineté propre et dépendent des directives nationales.

À l’opposé, un État fédéral partage cette souveraineté entre un gouvernement central et des entités fédérées (provinces ou États) dotées de compétences constitutionnelles autonomes, comme on le voit aux États-Unis ou en Allemagne.

Passer d’un modèle à l’autre ne serait pas une simple réforme technique : ce serait une révolution dans la répartition du pouvoir qui nécessiterait un changement de la Constitution.

Mais une telle métamorphose est-elle seulement possible sans heurter les garde-fous (immodifiables) de la Constitution ? Tout repose sur l’interprétation de l’article 220.

L’article 220 : une ligne rouge ou une zone grise ?

L’article 220 énonce les principes intangibles de l’État congolais : la forme républicaine, le suffrage universel, le nombre et la durée des mandats présidentiels, l’indépendance judiciaire, le pluralisme politique, entre autres.
Toute révision qui porterait atteinte à ces fondations ou réduirait les droits des citoyens et des provinces est prohibée.

Mais que recouvre exactement la « forme républicaine de l’État » ? C’est là que le bât blesse.
Pour certains juristes, cette expression désigne le caractère républicain par opposition à une monarchie, laissant la porte ouverte à une réorganisation territoriale comme le fédéralisme. D’autres, à l’instar de Diomi Ndongala, y voient une référence implicite à l’État unitaire, indissociable de l’unité nationale proclamée dans l’article 1er. Cette controverse juridique alimente un débat où l’histoire et la politique pèsent autant que les textes.

Dans un pays hanté par le spectre de la division, « modifier la structure unitaire serait une trahison de l’esprit constitutionnel, voire comme une violation explicite de l’article 220 ».

La durée et le nombre de mandats présidentiels : un miroir des tensions

L’article 220 n’est pas un texte abstrait : il a été mis à l’épreuve lors des batailles autour des mandats présidentiels.
Sous Joseph Kabila, les tentatives de contourner la limite de deux mandats ont déclenché des crises politiques, l’opposition brandissant l’article 220 comme un rempart. Plus récemment, en 2024, Félix Tshisekedi a ravivé la polémique en suggérant une révision constitutionnelle pour lever ces mêmes restrictions, s’attirant les foudres de ceux qui y voient une attaque contre les principes intangibles.

Ces épisodes révèlent la sacralité de l’article 220 dans l’imaginaire politique congolais.
« Mais ils exposent aussi une ironie : certains défenseurs acharnés de cet article face aux révisions des mandats présidentiels se montrent aujourd’hui plus conciliants lorsqu’il s’agit de fédéralisme », constate ce notable Ne Kongo.
Cette apparente incohérence jette une lumière crue sur les jeux d’intérêts inavoués qui sous-tendent ce débat.

L’hypocrisie politique en question

Comment expliquer ce double discours ?

Les mêmes acteurs qui criaient à l’inviolabilité de l’article 220 hier, plaident aujourd’hui pour un changement constitutionnel qui pourrait, elle aussi, le mettre en péril.

Opportunisme ou évolution sincère ? Pour certains, le fédéralisme est une carte à jouer pour apaiser les provinces riches en ressources ou consolider des bases électorales. Peut-être aussi les revendications rebelles à l’ Est de la RDC…

Pour d’autres, c’est une réponse pragmatique aux failles de la centralisation. « Mais cette valse-hésitation fragilise la crédibilité des élites et alimente la défiance d’une population lassée des incohérences des politiciens », regrette-t-il.

D’autant plus que si l’on vise de s’attaquer aux principes intangibles de l’article 220 de la Constitution, il reste une seule solution possible : « changer complètement de Constitution, ce qui est un tabou insurmontable, surtout dans le contexte actuel du pays et aussi pour une raison de cohérence ». On ne défend pas la Constitution au gré de ses intérêts circonstanciels !

Les défis d’une transition

Au-delà des querelles politiques, le fédéralisme pose des questions pratiques et juridiques redoutables. « Comment redistribuer les compétences et les ressources dans un pays où les infrastructures et les capacités administratives varient autant d’une province à l’autre ? », s’interroge Eugène Diomi Ndongala. Un tel système pourrait-il réduire les inégalités ou, au contraire, amplifier les disparités et les rivalités ?
Sur le plan juridique, la Cour constitutionnelle serait probablement appelée à trancher, car la menace de la violation de l’article 220 de la Constitution est juridiquement bien réelle.

Un horizon incertain

Le fédéralisme en RD Congo est une idée séduisante pour certains, un danger pour d’autres. Pour cet acteur politique,
« juridiquement, il flirte avec les limites de l’article 220, au risque de déclencher une crise constitutionnelle majeure.
Politiquement, il expose ses promoteurs à des accusations d’incohérence dans un climat déjà marqué par la méfiance ».

Certes, en ce moment, la RD Congo n’est pas prête à remplacer sa Constitution. « Nous l’avons souligné pour dénoncer le casus belli représenté par le changement du nombre et de la durée des mandats présidentiels, et nous le soulignons aussi, pour le changement de forme de l’État, qu’à notre avis, comporte l’abandon de la forme d’État unitaire et décentralisé en faveur du fédéralisme.
Donc, encore une fois, nous le soulignons, avec cohérence et rigueur: touche pas à ma Constitution ! », a conclu Eugène Diomi Ndongala Nzomambu.

LM

Laisser un commentaire