Ils seront 2000, chargés pour cinq ans de garantir le respect d’un accord de cessez-le-feu conclu ce lundi à 21 heures, entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, sous médiation de la Russie. Les signataires : le Président azerbaïdjanais Ilham Aliev, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian ainsi que le président russe Vladimir Poutine.
Les sources de ce conflit ne sont pas résolues. C’est un conflit profond, séculaire, pour ce territoire peuplé à 95% d’Arméniens en territoire azerbaïdjanais. Il a déjà entraîné la mort de plus de 30.000 personnes au début des années 1990.
Mais cet accord prévoit bien l’arrêt des hostilités récentes au Haut Karabakh, après 44 jours de combats. Le texte précise que les belligérants gardent « les positions qu’ils occupent ».
Et cette mention-là est vécue comme une capitulation côté arménien. Des manifestants en colère ont fait irruption cette nuit dans l’hémicycle du Parlement à Erevan, capitale arménienne, criant leur rage à l’encontre du Premier ministre Nikol Pachinian, qualifié de « traître ». Pourquoi ?
Décodage de cette colère par Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
Est-ce une défaite arménienne ?
« Oui », déclare sans détour ce spécialiste des relations internationales. L’accord intervient alors que les belligérants arméniens ont connu une série de revers militaires et lâché du territoire.
« L’Azerbaïdjan a entamé les combats avec deux objectifs : reconquérir ses territoires occupés par l’Arménie en dépit du droit international, (NDLR : des territoires tampon entre l’Arménie et le haut Karabakh), c’est chose faite. Et récupérer le Haut-Karabakh : une partie a été reprise. L’Azerbaïdjan a partiellement atteint ses objectifs. »
La fête dans les rues de Bakou, en Azerbaïdjan, à l’annonce de cet accord qui fige les positions. © AFP TOFIK BABAYEV
Des victoires/défaites militaires, selon le point de vue, pérennisées par cet accord.
Sur Facebook, le Premier ministre arménien commente sa signature : « incroyablement douloureuse », « un grand échec pour nous, une grande catastrophe, un grand deuil pour les vies perdues », dit Nikol Pachinian, ajoutant vouloir désormais se concentrer sur le « développement économique et humanitaire » de l’Arménie et d’un Karabakh raboté.
Mais pourquoi a-t-il signé à reculons ?
Pourquoi avoir signé cette « capitulation »?
« Il n’avait pas le choix », commente Didier Billion. « En position défensive depuis des jours, après d’importantes pertes de territoires, Nikol Pachinian n’a pas eu d’autre choix que d’accepter l’accord avancé par les Russes. »
Les Russes qui ont avancé avec finesse et anticipation leurs pions sur cet échiquier, commente Didier Billion. « Jusqu’ici la Russie n’était pas intervenue. Elle avait précisé qu’elle n’apporterait pas de soutien militaire à l’Arménie, à moins que l’intégrité du territoire Arménien ne soit menacée. Or les combats n’avaient pas lieu en Arménie mais bien sur le territoire de l’Azerbaïdjan. »
Mais à présent Moscou se pose en médiateur unique, pacificateur, qui intervient à point nommé. « La Russie s’est mise au centre du jeu. La rapidité de déploiement de ses troupes quelques heures à peine après la signature du cessez-le-feu montre à quel point la Russie avait anticipé les choses et était prête à en tirer parti. »ntégrité du territoire Arménien ne soit menacée. Or les combats n’avaient pas lieu en Arménie mais bien sur le territoire de l’Azerbaïdjan. »
Vladimir Poutine, Président de la Russie, aux côtés de Nikol Pachinian, Premier ministre de l’Arménie. © AFP SERGEI GUNEYEV
« Je pense qu’un arrêt des hostilités ne pouvait se faire qu’avec la Russie et selon ses conditions, dans ce Caucase qu’elle considère comme son arrière-cour » poursuit le Directeur adjoint de l’Iris.
Quel rôle a joué la Turquie dans l’issue des combats ?
Quel aura été le poids de l’intervention turque dans l’issue de ces combats ?
La Turquie fait alliance avec l’Azerbaïdjan, Etat turcophone, pourvoyeur de gaz naturel.
Les belligérants azerbaïdjanais ont reçu un soutien militaire de la Turquie, notamment de drones, soutien qui a pu les aider à progresser ces derniers jours. Des témoignages évoquent encore la présence de mercenaires étrangers dans les combats. « La lumière devra être faite » commente Didier Billion.
Il poursuit : « ce n’est pas la première fois que la Russie et la Turquie soutiennent des belligérants dans des camps opposés, on l’a vu en Syrie, en Libye. Mais cette fois les événements ont lieu dans l’arrière-cour stratégique de la Russie. Le Caucase est son pré carré. Moscou ne voudra pas laisser Ankara prendre trop d’initiatives. »
Pour l’heure Ankara salue cet accord comme une « victoire de l’Azerbaïdjan »: « C’est un grand succès pour l’Azerbaïdjan, une grande victoire. Des terres qui étaient occupées depuis 30 ans ont été reconquises », a déclaré le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu, « que cela serve de leçon à l’Arménie ».
Cet accord, un couvercle sur une casserole en ébullition ?
Cette signature est une étape, nécessaire mais pas suffisante, loin de là, pour sortir de ce conflit profond.
« Il est bien illusoire de penser que les problèmes peuvent être résolus par ce cessez-le-feu, même garanti par les Russes. Il faudra rouvrir de vraies négociations sur ce territoire disputé. »
Et Didier Billion mentionne, pour le ballet diplomatique qui devra suivre, le « Groupe de Minsk », la médiation conjointe de la Russie, des Etats Unis et de la France, traditionnellement en première ligne dans ce dossier caucasien. Qu’en sera-t-il à présent ?
La Russie, elle, est déjà au centre du jeu.
Mais les Etats-Unis ont porté peu d’attention au Haut-Karabakh ces dernières semaines, concentrés sur leur scrutin présidentiel. Et la France, par le soutien qu’elle affiche à l’Arménie, soutien encore répété aujourd’hui, aura des difficultés à faire figure de médiatrice cette fois. Et comment peut-elle collaborer avec la Turquie qui semble décidée à peser dans le processus, mais qui est à couteaux tirés avec Paris ?
L’encre de l’accord de cessez-le-feu n’est pas encore sèche mais ces questions se poseront vite.
Comme celle du coût politique de cette signature, en Arménie.
Le Premier ministre arménien Nikol Pachinian est arrivé au pouvoir il y a 2 ans, porté par une vague de manifestations.
Celui qui était alors porteur d’espoir, populaire en pourfendeur de la corruption et réformateur de l’économie malade, est aujourd’hui insulté par une frange de l’opinion publique arménienne pour qui cette question territoriale est fondamentale et cette signature, une traîtrise.